Le marché du crédit immobilier se grippe en 2023. A fin avril 2023, le nombre de prêts immobiliers accordés recule de 31,9 % sur 1 an. Les taux d’intérêt, taux d’usure et taux d’assurance sont en cause mais pas uniquement. La prudence des banques et les prix immobiliers contribuent largement au blocage. Qui sont les grands perdants ?
Les taux bloquent le marché du crédit immobilier
Taux d’intérêt
Les taux d’intérêts conditionnent la capacité d’emprunt des acquéreurs. Avec des taux immobiliers bas, vous empruntez plus. Votre capacité d’achat s’accroit également. Mais, depuis mi 2022, les hausses fortes et continues des taux changent profondément la donne.
Comment en sommes-nous arriver là ?
Après la crise financière de 2008, la stratégie monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) a profondément changé. Dès novembre 2011, les banques ont eu de larges facilités de refinancement. Le principal taux de refinancement de la BCE a été maintenu à 0 % entre 2016 et mi 2022. Cela s’est traduit par une baisse des taux immobiliers dès 2012, qui a atteint son apogée fin 2021. On parlait de taux historiquement bas à 1,20 sur 25 ans.
L’année 2022 marque un tournant. L’inflation augmente avec le déconfinement. Les prix du carburant et des énergies augmentent. Le déclenchement de la guerre en Ukraine et les incertitudes sur les marchés accentuent la tendance.
Aussi en juillet 2022, la BCE décide alors de relever ses taux directeurs pour contrer l’inflation. Le taux de l’OAT 10 ans anticipe alors le virage pris par la BCE et s’envole. Référence pour les banques, les taux des crédits immobiliers grimpent. D’abord lentement de janvier à juillet 2022. Puis, fortement à partir d’août et septembre 2022. En mai 2023, la Banque Centrale Européenne (BCE) annonce une 7ème hausse de ses taux directeurs. Toutefois, la hausse est plus modérée. Doit-on y voir un signe ?
En mai 2023, vous pouvez emprunter sur 25 ans à un taux d’environ 3,70 % contre 1,70 % en mai 2022. Les courtiers pronostiquent un taux moyen à 4% d’ici l’été 2023.
Taux d’usure
La question des taux d’usure ne se posait pas en période de taux d’intérêts bas. Dès que ceux-ci ont augmenté, les seuils d’usure trimestriels ont été bloquants pour obtenir un crédit immobilier. Il existait un décalage perpétuel entre les taux d’intérêts et les taux d’usure actualisés chaque trimestre.
Les courtiers ont alors plaidé pour une refonte du calcul et une mise à jour mensuelle des taux d’usure. Ils ont obtenu une actualisation mensuelle des seuils d’usure. Donc, à compter de février 2023, la Banque de France met à jour les taux d’usure, à ne pas dépasser, le 1er de chaque mois. Cette mesure permet de refléter l’augmentation des taux immobiliers. Mais, cette actualisation entraine également une augmentation plus rapide des taux d’intérêts.
Force est de constater que des taux d’usure mensuels ne permettent pas de débloquer le marché du crédit immobilier tant que les taux d’intérêts augmentent. En mai 2023, pour un crédit immobilier sur 25 ans, le taux d’usure s’élève à 4,52 %. Or, certaines banques proposent un taux d’intérêt nominal proche de 4% hors assurance. Ajoutez les frais d’assurance emprunteur et de garantie, le taux d’usure est rapidement atteint voire dépassé.
Taux d’endettement
Depuis le 1er janvier 2022, les banques appliquent aux emprunteurs un taux d’endettement maximum de 35 % de leurs revenus. Donc, une échéance de prêt, incluant l’assurance, ne doit pas dépasser 35 % des revenus d’un emprunteur.
Toutefois, les établissements bancaires peuvent déroger à cette règle pour 20 % de leur production trimestrielle de prêts immobiliers. Or, les banques n’utiliseraient que 13 à 14 % de cette marge de manœuvre, selon le Ministre du Logement.
Le taux d’endettement ne me semble pas être la cause principale du blocage du marché du crédit immobilier. Mais, il pénalise les emprunteurs aux revenus élevés qui ont une capacité d’endettement bien supérieure à 35 %.
Taux d’assurance emprunteur
Le prix de l’assurance de prêt pèse sur le coût d’un crédit immobilier (TAEG) et sur le taux d’usure. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’utilité de l’assurance d’un prêt immobilier. Il s’agit de pouvoir choisir un contrat compétitif avec des garanties optimales qui permet de respecter le taux d’usure d’un crédit immobilier. Or, le coût de l’assurance est inclus dans le TAEG d’un crédit immobilier. Le taux d’usure (TAEG) est plus rapidement atteint si l’assurance est chère.
Mais, les emprunteurs n’ont guère la liberté de choisir un contrat d’assurance emprunteur au moment de la signature d’un prêt immobilier. Le libre choix accordé par la loi Lagarde de 2010 reste toujours théorique. Les banques imposent leur assurance emprunteur et leur prix.
Les emprunteurs sont souvent impuissants au moment de la signature d’un prêt immobilier. Ils ont uniquement la possibilité de changer de contrat d’assurance emprunteur a postériori, une fois l’offre de prêt signée grâce à la loi Lemoine de 2022.
La prudence des banques affecte le marché du crédit immobilier
L’apport personnel
Il est loin le temps où les banques finançaient jusqu’à 110 % de votre projet immobilier. C’était le cas en 2019. Il faut avouer qu’un minimum d’apport personnel est nécessaire. Cette pratique est révolue aujourd’hui. Parallèlement à la règle de l’endettement apparu en 2021, l’apport personnel s’est imposé comme un moyen de sélectionner les demandes de prêt. Selon l’Observatoire Crédit Logement/CSA, en 2021, l’apport personnel demandé par les banques est en hausse de +13,2% en un an. En 2022, la tendance se confirme : + 12,3 %. Actuellement, prévoyez un apport personnel d’au moins 20 % de la valeur d’achat du logement acheté.
L’épargne
La notion d’épargne résiduelle a grandi en même temps que celle de l’apport personnel. Il s’agit de l’épargne restante après la mobilisation de votre apport personnel. L’objectif est de pouvoir faire face à des dépenses inattendues. On parle de l’équivalent d’un an d’échéances de prêt.
La valeur énergétique du logement acheté
Les passoires énergétiques font l’objet de toutes les attentions. Le DPE, réputé peu fiable, fait référence en la matière. Les banques sont de plus en plus prudentes pour financer les logements notés F et G. Il faut dire que les biens en catégorie G seront interdits à la location en 2025.
C’est particulièrement vrai pour les investisseurs. Les banques prennent en compte moins de revenus fonciers, ce qui affecte leur taux d’endettement. L’apport personnel exigé est aussi plus élevé.
Pour l’achat d’une résidence principale énergivore, les banques imposent plus d’apport personnel et surtout les fonds pour financer des travaux de rénovation.
Il est en de même pour le financement des résidences secondaires. Selon l’étude récente d’un courtier en ligne, les banques financent difficilement les résidences secondaires : seuls 30 % des demandes de prêt aboutissent, contre 50 % il y a un an. En cause, la baisse de la capacité d’emprunt, les performances énergétiques de ces logements et aussi les taux d’usure rapidement atteints.
Vers un assouplissement des règles du marché du crédit immobilier ?
Face au ralentissement visible du volume de prêts immobiliers accordés, le Ministère de l’Economie se dit prêt, en avril 2023, à étudier l’assouplissement des règles d’accès aux crédits immobiliers, imposées par le HCSF en 2022.
« Les banques sont prudentes, trop prudentes »
Ministre du Logement le 28/04/2023
De son côté en avril 2023, la Banque de France déclare être défavorable au changement des critères d’octroi des crédits immobiliers.
« Il y a une chose certaine c’est que nous n’allons pas pousser au surendettement des Français, parce que la vraie crise sociale elle serait là »
Gouverneur de la Banque de France – 05/05/2023
Donc, cela risquerait de pousser certains ménages vers des situations de surendettement sur des durées longues. Or, les Français sont déjà endettés à hauteur de 66% du PIB, ce qui est supérieur aux autres pays de la zone euro.
Enfin, les banques se disent prêtes à discuter de l’assouplissement des règles actuelles.
« Dans le cadre des critères actuels et si les autorités nous y invitent, nous sommes prêts à discuter pour simplifier ces poches de dérogation sur les conditions d’octroi des crédits »
Directrice Générale de la Fédération Bancaire – 11/05/2023
On devrait en savoir plus après la réunion du Haut Conseil à la Sécurité Financière (HCSF) en juin 2023 sur les éventuels assouplissements des règles d’octroi des crédits immobiliers.
Les prix immobiliers n’aident pas le marché du crédit immobilier
Baisse timide des prix immobiliers en France
Les prix immobiliers ont augmenté ces dernières années tandis que les conditions de financement étaient favorables. Des taux historiquement bas, un apport quasi inexistant jusqu’en 2019, une durée d’emprunt jusqu’à 30 ans … L’allongement de la durée de financement permettait de compenser la hausse des prix des logements.
Depuis 2021, non seulement les prix immobiliers continuent à augmenter, mais les crédits immobiliers sont réservés à certains emprunteurs.
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que les prix immobiliers ne baissent pas suffisamment pour compenser la baisse de la capacité d’achat des emprunteurs.
« il faudrait que ça diminue de 10 à 12% pour ajuster la désolvabilisation du financement des ménages »
Président de Century 21 – 24/04/2023
Nous sommes loin d’une baisse généralisée en France et de cette ampleur.
Au 1er trimestre 2023, les prix dans l’ancien ont timidement baissé de -0,5 % en France contre une hausse de +1,9 % à la même période l’an dernier. En 2022 les prix grimpaient encore de + 4,1% (étude Aviv group : Seloger et Meilleurs Agents).
Hausse des prix dans la région PACA
La baisse des prix montre de fortes disparités régionales. Dans la région PACA, les prix immobilietrs continuent à progresser à un rythme soutenu. Selon les données du réseau Guy Hoquet, la hausse des prix de l’ancien est de +4% au cours des 2 derniers mois dans cette région. La ville d’Antibes enregistre la plus forte hausse : +20,8% sur 1 an. Dans le Var, Toulon affiche + 11,1% et Hyères +7,2% en un an.
Vendeurs et acquéreurs
Les prix immobiliers dépendent de l’offre et de la demande. La demande est là mais contrainte par un accès difficile au crédit immobilier. Quant à l’offre, la balle semble être dans le camp des vendeurs pour baisser leurs prix de vente.
« S’ils ne bougent pas et ne baissent pas leurs prix, alors on va bloquer complètement le marché »
Président de ORPI – 25/04/2023
Nous ne sommes plus dans la dynamique post Covid. Vendeurs et acquéreurs rencontrent visiblement des difficultés à s’adapter au marché immobilier actuel.
Les grands perdants du marché du prêt immobilier
Les Primo-accédants
Dans le contexte actuel, les primo accédants peinent à obtenir un crédit immobilier. En cause, l’apport personnel demandé par les banques, sans parler des exigences d’épargne de précaution. Leur capacité d’emprunt est amoindrie par la hausse des taux. L’allongement de la durée de remboursement ne suffit plus à compenser la perte de pouvoir d’achat. Selon les données CSA/Crédit Logement, la durée moyenne des prêts immobiliers s’établit à un niveau rarement observé par le passé. Elle dépasse 20 ans (250 mois) en avril 2023. Enfin, les prix immobiliers ne baissent pas suffisamment pour compenser mathématiquement la hausse continue des taux immobiliers.
Aussi, la majorité des acquéreurs sont des secundo-accédants. Ils revendent pour acheter un nouveau logement. Pour le réseau d’agences immobilières Laforêt, les primo-accédants ne représentent aujourd’hui plus que 27 % des acheteurs contre 50 % auparavant. Mais, même les secundo-accédants rencontrent aussi des difficultés à financer leur achat immobilier. Malgré de bon revenus, ces emprunteurs se heurtent aussi à des taux d’intérêt élevés et à un taux d’usure rapidement dépassé.
Les Investisseurs
Les investisseurs sont pénalisés par les conditions de financement. La limitation du taux d’endettement est le principal obstacle. Les banques toléraient un endettement jusqu’à 45 % à 50 %. Or, les investisseurs aux revenus confortables et au reste à vivre élevé doivent respecter le seuil d’endettement de 35 %.
Déjà en 2022 le marché du prêt immobilier est en baisse. Mais en 2023 l’accès au crédit immobilier est réservé à une élite . Malheureusement, les emprunteurs ne peuvent pas compter sur une baisse significative des prix immobiliers pour compenser la perte de pouvoir d’achat. L’assouplissement des règles imposées aux banques est faisable dans un contexte de forte inflation ?
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