Le marché du crédit immobilier est bel et bien bloqué en 2023. A fin août 2023, le nombre de prêts immobiliers accordés recule de 42,7 % sur un an glissant. Les taux d’intérêt, taux d’usure et taux d’assurance sont en cause mais pas uniquement. Les banques sont prudentes. Les prix des logements baissent encore trop timidement. Qui sont les grands perdants ?
Article mis à jour le 20/09/2023
Les taux bloquant le marché du crédit immobilier
Taux d’intérêt
Les taux d’intérêts conditionnent la capacité d’emprunt des acquéreurs. Avec des taux immobiliers bas, vous empruntez plus. Aussi, votre capacité d’achat s’accroit également. Mais depuis mi 2022, les hausses fortes et continues des taux changent profondément la donne.
Comment en sommes-nous arriver là ?
Des taux immobiliers bas jusqu’à fin 2021
Après la crise financière de 2008, la stratégie monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) a profondément changé. Dès novembre 2011, les banques ont eu de larges facilités de refinancement. Le principal taux de refinancement de la BCE a été maintenu à 0 % entre 2016 et mi 2022. Cela s’est traduit par une baisse des taux immobiliers dès 2012, qui a atteint son apogée fin 2021. On parlait de taux historiquement bas à 1,20 sur 25 ans.
L’Inflation apparait en 2022
L’année 2022 marque un tournant. L’inflation augmente avec le déconfinement. Les prix du carburant et des énergies s’envolent. Le déclenchement de la guerre en Ukraine et les incertitudes sur les marchés accentuent la tendance.
Taux directeurs et OAT 10 ans en hausse mi 2022
Aussi, en juillet 2022, la BCE décide de relever pour la 1ère fois ses taux directeurs pour contrer l’inflation. Le taux de l’OAT 10 ans anticipe alors le virage pris par la BCE et s’envole. Référence pour les banques, les taux des crédits immobiliers grimpent. D’abord lentement de janvier à juillet 2022. Puis, fortement à partir d’août et septembre 2022. Début août 2023, on atteint déjà le taux de 4% hors assurance sur 25 ans.
BCE poursuit sa politique de hausse de taux en 2023
En mai 2023, la Banque Centrale Européenne (BCE) annonce une 7ème hausse de ses taux directeurs depuis juillet 2022. Toutefois, l’augmentation est plus modérée. Puis, la BCE continue à relever ses taux directeurs en juin et juillet 2023 car l’inflation dans la zone euro ne baisse pas suffisamment : 5,5 % en juin sur 1 an.
Une pause dans la hausse des taux en septembre 2023 ?
En juillet 2023, la demande intérieure en Europe faiblit dangereusement. Aussi, la BCE pourrait faire une pause dans la hausse de ses taux directeurs en septembre, ce qui serait une bonne nouvelle pour les taux des crédits immobiliers à la rentrée.
Taux d’usure
La question des taux d’usure ne se posait pas en période de taux d’intérêts bas. Dès que ceux-ci ont augmenté, les seuils d’usure trimestriels ont été bloquants pour obtenir un crédit immobilier. Il existait un décalage perpétuel entre les taux d’intérêts et les taux d’usure actualisés chaque trimestre.
Les courtiers ont alors plaidé pour une refonte du calcul et une mise à jour mensuelle des taux d’usure. Ils ont été entendus pour l’actualisation mensuelle des seuils d’usure. Donc, à compter de février 2023, la Banque de France met à jour les taux d’usure, à ne pas dépasser, le 1er de chaque mois. Cette mesure permet de refléter l’augmentation réelle des taux immobiliers. Mais, cette actualisation entraine aussi une augmentation plus rapide des taux d’intérêts.
Force est de constater que des taux d’usure mensuels ne permettent pas de débloquer le marché du crédit immobilier tant que les taux d’intérêts augmentent. Pourtant, en juin 2023, le gouvernement a annoncé la prolongation des taux d’usure mensuels jusqu’à la fin de l’année 2023. On sait aujourd’hui que cette mesure est inefficace.
Les taux d’usure augmentent fortement depuis le début de l’année 2023. Pour un crédit immobilier de 25 ans, le seuil d’usure est de 3,57 % en janvier, puis 4 % en mars, 4,52 % en mai et enfin 5,33 % en août 2023.
Taux d’endettement
Depuis le 1er janvier 2022, les banques appliquent aux emprunteurs un taux d’endettement maximum de 35 % de leurs revenus. Donc, une échéance de prêt, incluant l’assurance, ne doit pas dépasser 35 % des revenus d’un emprunteur.
Le taux d’endettement ne me semble pas être la cause principale du blocage du marché du crédit immobilier. Il pénalise sans aucun doute les investisseurs aux revenus élevés qui ont une capacité d’endettement bien supérieure à 35 %.
Taux d’assurance emprunteur
Le prix de l’assurance de prêt pèse sur le coût d’un crédit immobilier (TAEG) et se heurte au taux d’usure. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’utilité de l’assurance d’un prêt immobilier. Il s’agit de pouvoir choisir un contrat compétitif avec des garanties optimales qui permet de respecter le taux d’usure d’un crédit immobilier. Or, le coût de l’assurance emprunteur est inclus dans le TAEG d’un crédit immobilier. Le taux d’usure (TAEG) est plus rapidement atteint si l’assurance est chère ou si vous êtes 2 à emprunter.
Mais, les emprunteurs n’ont guère la liberté de choisir un contrat d’assurance emprunteur au moment de la signature d’un prêt immobilier. Le libre choix accordé par la loi Lagarde de 2010 reste toujours théorique. Les banques imposent leur assurance emprunteur et leur prix.
Les emprunteurs sont souvent impuissants au moment de la signature d’un prêt immobilier. Ils ont uniquement la possibilité de changer de contrat d’assurance emprunteur a postériori, une fois l’offre de prêt signée grâce à la loi Lemoine de 2022.
La prudence des banques affecte le marché du crédit immobilier
L’apport personnel
Il est loin le temps où les banques finançaient jusqu’à 110 % de votre projet immobilier. C’était le cas en 2019. Il faut avouer qu’un minimum d’apport personnel est nécessaire. Cette pratique est révolue aujourd’hui. Parallèlement à la règle de l’endettement apparu en 2021, l’apport personnel s’est imposé comme un moyen de sélectionner les demandes de prêt. Selon l’Observatoire Crédit Logement/CSA, en 2021, l’apport personnel demandé par les banques est en hausse de +13,2% en un an. En 2022, la tendance se confirme : + 12,3 %. Actuellement, prévoyez un apport personnel d’au moins 20 % de la valeur d’achat du logement acheté.
L’épargne
La notion d’épargne résiduelle a grandi en même temps que celle de l’apport personnel. Il s’agit de l’épargne restante après la mobilisation de votre apport personnel. L’objectif est de pouvoir faire face à des dépenses inattendues. On parle de l’équivalent d’un an d’échéances de prêt.
La valeur énergétique du logement acheté
Les passoires énergétiques font l’objet de toutes les attentions. Le DPE, réputé peu fiable, fait référence en la matière. Les banques sont de plus en plus prudentes pour financer les logements notés F et G. Il faut dire que les biens en catégorie G seront interdits à la location en 2025.
C’est particulièrement vrai pour les investisseurs. Les banques prennent en compte moins de revenus fonciers, ce qui affecte leur taux d’endettement. L’apport personnel exigé est aussi plus élevé. le taux nominal peut également être majoré dès lors que l’achat ne porte pas sur une résidence principale.
Pour l’achat d’une résidence principale énergivore, les banques imposent plus d’apport personnel et surtout les fonds pour financer des travaux de rénovation.
Il est en de même pour le financement des résidences secondaires. Selon l’étude récente d’un courtier en ligne, les banques financent difficilement les résidences secondaires : seuls 30 % des demandes de prêt aboutissent, contre 50 % il y a un an. En cause, la baisse de la capacité d’emprunt, les performances énergétiques de ces logements et aussi les taux d’usure rapidement atteints.
Les banques n’utilisent pas pleinement les dérogations
En principe, la banques peuvent déroger aux règles du HCSF à hauteur de 20 % de leur production trimestrielle de crédits immobiliers. Or, les banques sont loin d’utiliser pleinement cette marge de manoeuvre. Selon les données de la Banque de France, en mars 2023 la part dérogatoire des prêts immobiliers n’étaient que de 14,2 %.
Vers un assouplissement des règles du marché du crédit immobilier ?
Face au ralentissement visible du volume de prêts immobiliers accordés, le Ministère de l’Economie se dit prêt, en avril 2023, à étudier l’assouplissement des règles d’accès aux crédits immobiliers, imposées par le HCSF en 2022.
De son côté en avril 2023, la Banque de France déclare être défavorable au changement des critères d’octroi des crédits immobiliers.
« Il y a une chose certaine c’est que nous n’allons pas pousser au surendettement des Français, parce que la vraie crise sociale elle serait là »
Gouverneur de la Banque de France – 05/05/2023
Donc, cela risquerait de pousser certains ménages vers des situations de surendettement sur des durées longues. Or, les Français sont déjà endettés à hauteur de 66% du PIB, ce qui est supérieur aux autres pays de la zone euro.
Enfin, les banques se disent prêtes à discuter de l’assouplissement des règles actuelles.
« Dans le cadre des critères actuels et si les autorités nous y invitent, nous sommes prêts à discuter pour simplifier ces poches de dérogation sur les conditions d’octroi des crédits »
Directrice Générale de la Fédération Bancaire – 11/05/2023
On devrait en savoir plus après la réunion du Haut Conseil à la Sécurité Financière (HCSF) en juin 2023 sur les éventuels assouplissements des règles d’octroi des crédits immobiliers.
Finalement le 13 juin 2023, les espoirs des professionnels ont été déçus. Le HCSF augmente légèrement les dérogations des banques sur les règles d’endettement et de durée de prêt. Cette marge maximale est de 20 % de la production de crédits. Pas de changement. Mais, parmi ces 20 %, les banques pourront déroger à hauteur de 70 % pour une résidence principale (contre 80 %) et sont libres pour 30 %. Donc, cet assouplissement s’adresse aux investisseurs locatifs et non aux primo accédants, en grande difficulté pour décrocher un crédit immobilier.
Mais dans le même temps, le gouvernement décide de mettre fin au dispositif Pinel. Cet outil, à destination des investisseurs particuliers, permet d’acheter un logement, le louer à un loyer plafonné et bénéficier d’une réduction d’impôt. Cette niche fiscale est jugée coûteuse et peu efficace. Elle ne sera pas prolongée au 1er janvier 2025 ni même remplacée.
Les prix immobiliers n’aident pas le marché du crédit immobilier
Baisse des prix mais pas partout
Les prix immobiliers ont augmenté ces dernières années tandis que les conditions de financement étaient favorables. Des taux historiquement bas, un apport quasi inexistant jusqu’en 2019, une durée d’emprunt jusqu’à 30 ans … L’allongement de la durée d’emprunt immobilier permettait de compenser la hausse des prix des logements.
Depuis 2021, non seulement les prix immobiliers continuent à augmenter, mais les crédits immobiliers sont réservés à certains emprunteurs.
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que les prix immobiliers ne baissent pas suffisamment pour compenser la baisse de la capacité d’achat des emprunteurs.
Au 1er trimestre 2023, les prix dans l’ancien ont timidement baissé de -0,5 % en France contre une hausse de +1,9 % à la même période l’an dernier. En 2022 les prix grimpaient encore de + 4,1% (étude Aviv group : Seloger et Meilleurs Agents).
Hausse des prix dans la région PACA
La baisse des prix montre de fortes disparités régionales. Dans la région PACA, les prix immobiliers continuent à progresser à un rythme soutenu. En septembre 2023, selon les grands réseaux d’agences immobilières, les prix baissent à Paris et Lyon d’environ 5% . Cette baisse est plus spectaculaire à Bordeaux : 13%. En revanche sur le littoral, les prix continuent à augmenter. A Nice, la hausse est estimée à 2 % depuis le début de l’année, selon Orpi. Cela s’explique par des acquéreurs qui achètent souvant comptant. Ainsi, ils évitent les complications liées à l’obtention d’un crédit immobilier.
Vendeurs et acquéreurs
Les prix immobiliers dépendent de l’offre et de la demande. La demande est là mais contrainte par un accès difficile au crédit immobilier. Quant à l’offre, la balle semble être dans le camp des vendeurs pour baisser leurs prix de vente.
Les vendeurs rencontrent visiblement des difficultés à s’adapter au marché immobilier actuel. Selon une étude de l’Observatoire Interkab réalisée en juin 2023 auprès d’agents immobiliers indépendants, 7 vendeurs sur 10 préfèrent attendre et reporter leur projet plutôt que baisser leur prix de vente. Cela explique en partie le blocage du marché des transactions et aussi des prix qui tardent à diminuer.
Les grands perdants du marché du prêt immobilier
Les primo-accédants exclus du marché du crédit immobilier
Dans le contexte actuel, les primo accédants peinent à obtenir un crédit immobilier. En cause, l’apport personnel demandé par les banques, sans parler des exigences d’épargne de précaution. Leur capacité d’emprunt est amoindrie par la hausse des taux. L’allongement de la durée de remboursement ne suffit plus à compenser la perte de capacité d’emprunt. Selon les données CSA/Crédit Logement, la durée moyenne des prêts immobiliers s’établit à un niveau rarement observé par le passé. Elle dépasse 20 ans (250 mois et 8 mois) en mai 2023.
Aussi, la majorité des acquéreurs sont des secundo-accédants. Ils revendent pour acheter un nouveau logement. Pour le réseau d’agences immobilières Laforêt, les primo-accédants ne représentent aujourd’hui plus que 27 % des acheteurs contre 50 % auparavant. Mais, même les secundo-accédants rencontrent aussi des difficultés à financer leur achat immobilier. Malgré de bon revenus, ces emprunteurs se heurtent aussi à des taux d’intérêt élevés et à un taux d’usure rapidement dépassé.
Les investisseurs
Les investisseurs sont pénalisés par les conditions de financement. La limitation du taux d’endettement est le principal obstacle. Les banques toléraient auparavant un endettement jusqu’à 45 % à 50 %. Or, les investisseurs aux revenus confortables et au reste à vivre élevé doivent respecter le seuil d’endettement de 35 %.
Questions / réponses sur le marché du crédit immobilier
En août 2023, le taux immobilier moyen sur 25 ans s’établit à 4,08 % hors assurance, selon CSA/Crédit logement contre 1,96 % en août 2022.
A priori, les taux devraient continuer à augmenter pour s’élever à 5 % début 2024, selon certains. Mais, il est probable que la BCE cesse d’augmenter ses taux directeurs si l’inflation baisse. Dès lors, les taux d’intérêt se stabiliseront à un niveau élevé.
Oui, les prix immobiliers baissent dans les grandes villes surtout et particulièrement à Paris. A l’inverse, à Nice les prix ont augmenté de 2 % de janvier à septembre 2023, selon le réseau Orpi. Donc, il n’y a pas encore de baisse généralisée des prix immobiliers.
Déjà en 2022 le marché du prêt immobilier est en baisse. Mais, en 2023 l’accès au crédit immobilier est réservé à une élite. Malheureusement, les emprunteurs ne peuvent pas compter sur une baisse significative des prix immobiliers pour compenser la perte de leur capacité d’achat. La BCE poursuit sa lutte contre l’inflation entamée mi 2022 ce qui entraine la hausse continue des taux immobiliers. Pas d’assouplissement en vue des critères d’octroi des prêts immobiliers cette année. On peut espérer que la politique de la BCE produise ses effets dès septembre et que la hausse des taux immobiliers ralentisse au dernier trimestre 2023.
Nos derniers articles :
Taux d’usure d’un crédit, comment ça fonctionne ?
Un regroupement de crédit quand on est assistante maternelle
Choisir son assurance de prêt immobilier selon 4 critères
3 conseils pour réussir un rachat de crédits